Il y a 10 ans, la fracture numérique concernait l’accès aux technologies, aujourd’hui elle se situe au niveau de son utilisation
Comme chaque année, plusieurs nouvelles dispositions rentrent en vigueur avec la rentrée des classes. Dans la foulée du Pacte pour un enseignement d’excellence, le cours de citoyenneté, d’abord appelé «cours de rien», fait son entrée sur les grilles horaires des étudiants du secondaire.
L'objectif de ce nouveau cours est de permettre aux jeunes de susciter et développer une pensée critique et autonome, de questionner et s'approprier la citoyenneté au sens large …ce qu’en principe devrait mettre en œuvre tout projet pédagogique, dans une école digne de ce nom.
Nous sommes nombreux, parmi les professionnels de l’Éducation, à constater que ce Pacte (en réalité un catalogue de bonnes intentions) se trompe dans ses priorités.
Pendant que les parlementaires, les pédagogues de salon (ndr : ceux qui traînent dans un bureau sans jamais croiser un seul enfant) et les cadres institutionnels se perdent en palabres, la société évolue, toujours plus vite aujourd’hui.
À l’image des nouvelles technologies, que nos jeunes manipulent et consomment au quotidien, l’innovation se situe à l’opposé des porteurs de ce fameux (fumeux ?) pacte.
La célèbre marque à la pomme fête les 10 ans d’anniversaire de son smart phone vedette en annonçant fièrement avoir révolutionné le Monde une décennie plus tôt en proposant quantité d’applications à vocation pédagogique.
Le réseau social développé par Mark Zuckerberg, basé sur le partage, a permis à des étudiants d’échanger des informations, desrésumés de cours à travers des groupes d’amis, les sites de vidéos en ligne sont aujourd’hui de véritables bibliothèques regorgeant de ressources documentaires intéressantes, sans que l’école ; en tant qu’institution, ait pu prendre conscience des enjeux, semble-t-il.
Il importe aujourd’hui de penser et d’agir pour une éducation aux nouvelles technologies, pour que leur utilisation soit profitable aux jeunes générations tout en les préservant des risques et dérives qu’elles peuvent entraîner
La génération « Y » (de l’Anglais « why », ndr : pourquoi), celle née entre 1980 et l’an 2000, bousculait déjà les codes et remettait en question les dogmes et les structures qu’elle estimait trop rigides. La suivante, que l’on a nommé « Z » mais que l’on s’accorde de plus en plus à désigner comme la génération « C » pour …Communication, Collaboration, Connexion et Créativité, passe à la vitesse supérieure: elle ne se contente plus de bousculer les codes, elle passe au-dessus, elle les réinvente, elle en crée de nouveaux ; cette génération des moins de 20 ans, née avec un smart phone dans la main, en Anglais, on dit : « digital natives » pour désigner ces jeunes peu dociles, plutôt utopistes, pas très enclins à suivre les traces de leurs aînés, convaincus que la réussite et/ou la fortune peut se faire à 22 ans avec une application téléchargée plusieurs millions de fois.
Ces « digital natives » que Jean-Noël Lafargue, chercheur français spécialisé en nouveaux médias, appelle, lui : « digital naives » sont ces jeunes aujourd’hui assis sur les bancs du secondaire, qui ne regardent plus la télévision : 80% d’entre eux possèdent un compte Facebook …dont la plupart l’utilisent non pas pour créer de l’information mais pour en consommer.
Les gourous du marketing ne s’y trompent d’ailleurs pas ! Conscients depuis longtemps que les jeunes (et même les plus jeunes) ont de l’argent de poche, contrairement à ce qu’avaient leurs parents, ils savent aujourd’hui qu’il ne faut plus toucher les mamans mais plutôt s’adresser directement aux jeunes en créant du ‘contenu’ en ligne, en ‘discutant’ avec la cible, en adoptant leur langage, leurs codes, même s’ils sont plus transgressifs, qu’importe : la toile n’a pas les mêmes outils de censure que la télévision.
C’est d’autant plus intéressant que ce groupe de consommateurs est à même d’influencer les décisions de leurs parents. Dans le jargon on appelle ces jeunes des prescripteurs d’achat…
Mais les risques que présentent les nouveaux médias vont bien au-delà de la sphère consumériste. Les cas de cyber-harcèlement sont légion et dans les situations les plus extrêmes conduisent à des gestes irréparables comme le suicide. Le sexe (la première requête entrée dans les moteurs de recherche à travers le monde) est découvert à travers internet, bien souvent sous la forme la plus violente qui soit, biaisant ainsi les rapports entre filles et garçons. Le racisme, décomplexé derrière un pseudonyme ou un avatar, s’exprime de manière abjecte sans que les auteurs n’en soient inquiétés.
Le temps d’utilisation quotidien du smart phone par les 12-18 ans en Belgique francophone dépasse allègrement les 3 heures sans que les recommandations en matière d’exposition à la lumière artificielle que renvoient ces appareils (on parle de rétro-éclairage) ne soient évoquées. La Harvard MedicalSchool (Boston – USA) soulignait dans un récent rapport les effets perturbants de l’éclairage artificiel, en particulier de celui provenant des différents dispositifs, ordinateurs, smartphones ou tablettes, expliquant ainsi que le facteur lumière intervient bien plus fort que la caféine, une alimentation déséquilibrée, ou encore le stress lié au travail, sur le manque de sommeil. Une exposition de deux heures à ces dispositifs électroniques auto-éclairés suffirait à entraîner des troubles du sommeil, en particulier chez les adolescents.
Selon une autre étude riche en informations, développée en 2016 par l'ASBL ReForm (spécialisée dans l’action citoyenne) et l'Université libre de Bruxelles, la dépendance aux smartphones chez les jeunes est liée aux applications de "reliance" par les réseaux sociaux, soit celles qui permettent de connecter ses utilisateurs les uns aux autres. Selon l’étude, un jeune sur cinq serait réellement dépendant à son smartphone. Le temps passé sur l'appareil n'est toutefois pas significatif d'une dépendance, souligne l'enquête. Les filles âgées de 14 à 16 ans seraient les plus exposées à un risque d'addiction. Par ailleurs, l’enquête révèle également un manque "flagrant" d'intégration du smartphone dans le système éducatif ainsi qu'une méconnaissance des côtés obscurs par les jeunes.
Le dépendant consulterait davantage son smartphone pendant la journée avec une consommation très importante dès le matin et dépasserait bien souvent son forfait. L'intérêt moindre pour l'école et de faibles résultats scolaires font notamment partie des conséquences liées à la dépendance du jeune.
Mais les nouvelles technologies présentent aussi de formidables opportunités nouvelles en matière d’enseignement : que ce soit pour la diversité des sources et des formats ou le partage d’informations. De plus en plus, des groupes de partage se créent via les réseaux sociaux permettant ainsi l’échange de notes de cours, une nouvelle forme de collaboration. La portabilité des supports offre aujourd’hui une mobilité sans égal aux étudiants. Les interactions entre élèves et enseignants peuvent être plus régulières et améliorer ainsi leur suivi en identifiant mieux les besoins.
Les défis sont importants car en modifiant profondément le rapport à la mémoire, au traitement et au transport des données textuelles, sonores ou iconographiques, les nouvelles technologies de l'information et de la communication influent directement sur les deux missions fondamentales de l'école que sont la transmission du savoir et la socialisation des jeunes. La place de l’enseignant, le contenu des compétences à enseigner et l’apport pédagogique de ces nouveaux outils méritent une réflexion approfondie.
Il y a 10 ans, la fracture numérique concernait l’accès aux technologies, aujourd’hui elle se situe au niveau de son utilisation. La Ligue des Familles relèvent notamment qu’une personne sur cinq reconnaît être désorientée et stressée par la société qui se numérise rapidement.
S’il y a 10 ans, c’était le besoin en matériel qui se faisait sentir, aujourd’hui c’est davantage les compétences qui font défaut. Il est donc essentiel que l’école intègre l’éducation aux nouvelles technologies dans ses programmes pour qu’une fois adultes, nos jeunes ne soient pas obligés de subir les errances de leurs aînés en signant le Pacte …pour l’innovation.
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